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Ma vie romanesque

samedi 15 décembre 2012

Extrait

Elle s'agenouilla au milieu des cailloux, cueillit quelques autres feuilles de plantain. Elle descendit les marches menant au bassin, but un peu d'eau dans le creux de sa main et se sentit mieux. Elle marcha vers l'aval, sans but particulier autre que de s'éloigner encore un peu de l'auberge où une mourante attendait des remèdes qui ne feraient aucune différence. Le bruit de ciseaux taillant la pierre devenait de plus en plus fort : de l'autre côté du ruisseau, le chantier poursuivait son lent travail de construction. L'église qu'ils bâtissaient, en tuf de couleur rouille, serait sans aucun doute très belle. Fallait-il que ces moines soi-disant mendiants soient riches pour édifier de si beaux sanctuaires. Elle se retourna et poursuivit la descente du ruisseau. A petite distance, des cuves de douelle plus hautes qu'elle lui barraient le passage. A gauche, les tanneurs, à droite les teinturiers, et le ruisseau, trouble à cet endroit, pour tous. Des femmes et des enfants travaillaient là, dans une puanteur indescriptible. Ysabellis contourna les cuves. Une femme, les bras tâchés de couleurs, puisa de l'eau, la regardant sans la voir. Au-delà, tout l'espace entre le rempart et l'eau était occupé par de grands étendages de draps et d'écheveaux. Tous colorés de vif, bleus profonds ou tirant sur le vert, rouges, orangés. Des teintures lumineuses qui, après quatre ou cinq lavages, auraient malheureusement l'aspect fané de ses propres vêtements, bleu pâle, brun, vieux rose. L'odeur des teintures était douceâtre, un peu fétide, un peu sucrée, rivalisant d'acidité avec celle des solvants des tanneurs d'à côté. La boue, à ses pieds, était rouge.
Elle franchit le petit pont de planches un peu branlant qui conduisait au chantier de l'église, et dépassa un Carme en bure et sandales qui, immobile, observait les tailleurs de pierre. Le maître d'oeuvre, virga en main, orchestrait les mouvements des ouvriers. Du Doleson au chantier, la terre était boueuse, défoncée, emplie de mares et et cailloux, de traîtres tessons prêts à se planter dans les pieds nus. Des hommes s'invectivaient. Que voyait le moine dans ce chaos primitif ? Sa tonsure, bien rasée, luisait au soleil. Soudain, il se retourna, et Ysabellis fut en alerte.

... à suivre. 

8 commentaires:

jeansé a dit…

Tadam ...
Merci pour cet extrait qui nous met l'eau à la bouche.
C'est aussi agréable de sortir un texte de l'intrigue qui a souvent tendance (pour ma part en tous cas) à capter mon attention au détriment des ambiances, des couleurs ou des odeurs si précises dans ce passage.
Merci.

Laetitia Bourgeois a dit…

Merci à vous ! Ce sont des passages que j'aime beaucoup écrire, et ça me fait plaisir de voir qu'ils résonnent chez vous !

jallatuilerie a dit…

C'est du Laetitia Bourgeois des grands jours, d'ailleurs en existe-il des petits...Vivement la suite.
Merci.
Un Dragon d'argent du Charivari (Justin Canard)

Laetitia Bourgeois a dit…

Merci !
Et pour la suite, patience, ça ne tardera plus. Pour le prochain charivari, peut-être ?

Anonyme a dit…

je suis sous le charme des personnages, de l'ambiance, des paysages et du mystère....Merçi de m'avoir "capturée".

Laetitia Bourgeois a dit…

Je vous en prie ! C'est bon d'écrire pour des lecteurs comme vous !

Agnès a dit…

Il faut donc le lire deux fois, pour répondre à Jeansé, une fois pour l'intrigue et une autre pour
les ambiances, pour la langue.
A bientôt si ce commentaire arrive à destination.
Agnès

Laetitia Bourgeois a dit…

Votre message est bien arrivé, en effet, Agnès ! C'est l'avantage avec le livre (vous savez, le machin en papier avec des pages qui se tournent) : il ne s'autodétruit pas après lecture. On peut passer des bouts, revenir, relire un mot sur deux si ça nous chante... Pennac a dit tout cela bien mieux que moi !