"Les
outils rangés, Barthélémy resta seul, la tête fatiguée, les
muscles douloureux. Ses pas prirent la direction du quartier des
peaussiers, bien qu'il eut préféré trouver un banc et un pichet
profond. Boire et oublier. Laisser les menaces se dissoudre dans les
vapeurs de la fatigue et du vin.
Il
passa la main sous son chaperon, donnant un peu d'air à ses cheveux
trempés de sueur, rattacha sa ceinture et secoua la poussière de sa
cotte. Il ne devait pas abandonner. Le lendemain serait un dimanche.
Il profiterait du jour chômé pour en apprendre un peu plus. Et
chasser ce sentiment déplaisant d'être un gibier attendant le
chasseur en tremblant.
Le
gantier travaillait devant son ouvroir, auprès d'un petit feu qui
l'éclairait en cette fin de journée. De la rue, n'importe qui
pouvait se faire une idée de sa dextérité avant de lui confier un
travail. Et pour cette raison, il n'en manquait pas. C'était un
petit homme d’une cinquantaine d’années, un petit nez fin et des
oreilles bourgeonnantes dépassant de son bonnet. Des années à
rester penché sur l'ouvrage l’avaient rendu un peu voûté, et il
ne se relevait jamais sans un gémissement et une grimace.
A
l’arrivée de Barthélémy, il gémit et grimaça donc, puis lui
sourit, et l’accueillit de paroles aimables :
- Salut,
maçon. Prends un tabouret, je termine ça et je suis à toi.
Barthélémy
n’était pas pressé. Cela sentait bon dans le petit ouvroir
passablement encombré. De belles peaux tannées de chevreau
attendaient les doigts délicats qui les porteraient, des peaux de
vieille vache, un peu trouées, étaient destinées aux gants de
travail. Plusieurs aiguilles et alênes étaient disposées sur une
table, à portée de main, et sous la table, une caisse renfermait
tous les petits bouts qu’il ne jetait pas. Les soirs de patience,
il découpait des losanges de différentes couleurs et de même
épaisseur, et les assemblait pour confectionner des aumônières,
des sacoches, des ceintures et autres babioles.
Barthélémy
le regarda, fasciné. Sa main allait et venait avec une rapidité
extraordinaire, maniant l’alêne aiguë avec précision.
- Tu
ne te piques jamais ? finit-il par dire. L’autre rit, et
montra son pouce gauche : d’innombrables cicatrices s’y
voyaient, coups malheureux, qui avaient traversé la peau durcie.
- Je
ne dis pas que ça m’amuse, mais ce sont les risques du métier. Et
par les temps qui courent, ça paraît dérisoire.
Barthélémy
saisit l'invite :
- Le
Ciel nous préserve de pire que quelques coups d’épingle dans le
doigt !
- Ils
ne s’en prendront pas au Puy. La ville est puissante.
- Je
l’espère. Y a-t-il des nouvelles ?"
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