Elle
s'agenouilla au milieu des cailloux, cueillit quelques autres
feuilles de plantain. Elle descendit les marches menant au bassin,
but un peu d'eau dans le creux de sa main et se sentit mieux. Elle
marcha vers l'aval, sans but particulier autre que de s'éloigner
encore un peu de l'auberge où une mourante attendait des remèdes
qui ne feraient aucune différence. Le bruit de ciseaux taillant la
pierre devenait de plus en plus fort : de l'autre côté du
ruisseau, le chantier poursuivait son lent travail de construction.
L'église qu'ils bâtissaient, en tuf de couleur rouille, serait sans
aucun doute très belle. Fallait-il que ces moines soi-disant
mendiants soient riches pour édifier de si beaux sanctuaires. Elle
se retourna et poursuivit la descente du ruisseau. A petite distance,
des cuves de douelle plus hautes qu'elle lui barraient le passage. A
gauche, les tanneurs, à droite les teinturiers, et le ruisseau,
trouble à cet endroit, pour tous. Des femmes et des enfants
travaillaient là, dans une puanteur indescriptible. Ysabellis
contourna les cuves. Une femme, les bras tâchés de couleurs, puisa
de l'eau, la regardant sans la voir. Au-delà, tout l'espace entre le
rempart et l'eau était occupé par de grands étendages de draps et
d'écheveaux. Tous colorés de vif, bleus profonds ou tirant sur le
vert, rouges, orangés. Des teintures lumineuses qui, après quatre
ou cinq lavages, auraient malheureusement l'aspect fané de ses
propres vêtements, bleu pâle, brun, vieux rose. L'odeur des
teintures était douceâtre, un peu fétide, un peu sucrée,
rivalisant d'acidité avec celle des solvants des tanneurs d'à côté.
La boue, à ses pieds, était rouge.
Elle
franchit le petit pont de planches un peu branlant qui conduisait au
chantier de l'église, et dépassa un Carme en bure et sandales qui,
immobile, observait les tailleurs de pierre. Le maître d'oeuvre,
virga en main, orchestrait les mouvements des ouvriers. Du Doleson au
chantier, la terre était boueuse, défoncée, emplie de mares et et
cailloux, de traîtres tessons prêts à se planter dans les pieds
nus. Des hommes s'invectivaient. Que voyait le moine dans ce chaos
primitif ? Sa tonsure, bien rasée, luisait au soleil. Soudain, il se
retourna, et Ysabellis fut en alerte.
... à suivre.
8 commentaires:
Tadam ...
Merci pour cet extrait qui nous met l'eau à la bouche.
C'est aussi agréable de sortir un texte de l'intrigue qui a souvent tendance (pour ma part en tous cas) à capter mon attention au détriment des ambiances, des couleurs ou des odeurs si précises dans ce passage.
Merci.
Merci à vous ! Ce sont des passages que j'aime beaucoup écrire, et ça me fait plaisir de voir qu'ils résonnent chez vous !
C'est du Laetitia Bourgeois des grands jours, d'ailleurs en existe-il des petits...Vivement la suite.
Merci.
Un Dragon d'argent du Charivari (Justin Canard)
Merci !
Et pour la suite, patience, ça ne tardera plus. Pour le prochain charivari, peut-être ?
je suis sous le charme des personnages, de l'ambiance, des paysages et du mystère....Merçi de m'avoir "capturée".
Je vous en prie ! C'est bon d'écrire pour des lecteurs comme vous !
Il faut donc le lire deux fois, pour répondre à Jeansé, une fois pour l'intrigue et une autre pour
les ambiances, pour la langue.
A bientôt si ce commentaire arrive à destination.
Agnès
Votre message est bien arrivé, en effet, Agnès ! C'est l'avantage avec le livre (vous savez, le machin en papier avec des pages qui se tournent) : il ne s'autodétruit pas après lecture. On peut passer des bouts, revenir, relire un mot sur deux si ça nous chante... Pennac a dit tout cela bien mieux que moi !
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